L’employeur qui n’a pas mis en place un système de décompte du temps de travail objectif, fiable et accessible conserve tout de même la faculté, pour prouver l’existence et le nombre d’heures de travail réellement accomplies par un salarié, de soumettre au juge les éléments de preuve à sa disposition.
Dans cette affaire, une salariée, coiffeuse, formule une demande de résiliation judiciaire et sollicite le paiement d’heures supplémentaires et de contrepartie obligatoire au repos devant la juridiction prud’hommale. Elle est par la suite licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Déboutée en appel de sa demande de paiement de sommes au titre des heures supplémentaires, elle saisit la Cour de cassation de la question de la recevabilité comme mode de preuve des documents produits par l’employeur en l’absence de mise en place d’un système de mesure de la durée du travail du salarié. Plus précisément, elle argue que le juge ne peut prendre en considération, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, les documents produits par l’employeur que si ceux-ci proviennent d’un système objectif, fiable et accessible de mesure de la durée du travail du salarié mis en place par l’employeur, de sorte que le seul cahier manuscrit rempli quotidiennement par l’employeur n’est pas un mode de preuve suffisant.
La Cour de cassation approuve la Cour d’appel dans une décision particulièrement motivée. Elle rappelle d’abord la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 mai 2019 qui prévoit que les États membres doivent imposer aux employeurs l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur (CJUE 14-5-2019 C-55/18, point 60). Mais elle rappelle également sa jurisprudence sur le mécanisme probatoire particulier prévu par l’article L. 3171-4 du code du travail sur l’existence ou le nombre d’heures de travail accomplies : le salarié doit, en premier lieu, apporter des « éléments suffisants » à l’appui de sa demande, puis l’employeur, en réponse, fournit les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences légales et règlementaires. La Cour en déduit que « l’absence de mise en place par l’employeur d’un tel système ne le prive pas du droit de soumettre au débat contradictoire tout élément de droit, de fait et de preuve, quant à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies ». Aussi, le non-respect de l’obligation de mise en place d’un système objectif de mesure du temps de travail n’est pas sanctionné par un rejet des éléments de preuve dont dispose l’employeur.
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 7 février 2024, 22-15.842, Publié au bulletin