Par un arrêt du 21 décembre 2023, la Cour administrative d’appel de Douai considère que le lien de connexité existant entre une opération de construction et une opération de démolition et de remblaiement préalable ne suffit pas pour faire entrer cette dernière dans le champ d’application de la garantie décennale.
L’article 1792 du Code civil – selon lequel « tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination » – ne donne pas de définition de la notion d’ « ouvrage » conditionnant l’application de la garantie décennale. En conséquence, et sur ce fondement, la jurisprudence de la Cour de cassation notamment a bâti une définition de la notion autour du critère de l’« ancrage » ou de la fixation au sol (v. par ex. Cass. 3e Civ., 4 avril 2019, n°18-11.021, publié au bulletin ; Cass. 3e Civ., 28 avril 1993, n°91-14.215, publié au bulletin ; du côté du juge administratif, voir par ex. CAA Bordeaux 26 juin 2014, Ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche, req. n°13BX02141 : jugeant que des travaux d’enrochement constituent un ouvrage dès lors que l’enrochement fait corps avec le terrain et a pour objet de consolider la berge ; v. également : CAA Lyon 30 mai 2012, Société Ballario et Fils, req. n°12LY01009). A cet égard, les travaux de fondations sont classiquement considérés comme des travaux portant sur un ouvrage entrant dans le champ de la garantie décennale (v. par ex. : Cass. 3e Civ, 8 juin 1994, n°92-12.655 ; CAA Douai 22 avril 2010, Commune d’Amiens, req. n°08DA02096).
Quid des travaux destinés à préparer la construction d’un ouvrage, à l’instar des travaux de terrassement en amont des fondations ?
La troisième chambre civile de la Cour de cassation a récemment jugé que des travaux de terrassement et d’aménagement d’un terrain, dès lors qu’ils n’incorporent pas « de matériaux dans le sol au moyen de travaux de construction », ne peuvent pas être considérés, en eux-mêmes, comme portant sur la réalisation d’un ouvrage et ce quand bien même l’entrepreneur a connaissance du futur projet de construction qui sera réalisé par un tiers (v. par ex. : Cass. 3e Civ. 10 novembre 2021, n°20-20.294, FS-B). L’hypothèse était ici particulière puisque le désordre qui a affecté le terrain, un glissement du terrain voisin, était intervenu avant l’édification de l’immeuble.
Or, les faits d’espèce sont ici sensiblement les mêmes.
L’OPH Lille Europe Métropole fait réaliser la démolition d’un bâtiment et le pré-verdissement d’un terrain dans l’attente de la construction d’un ensemble immobilier. Ces travaux sont réceptionnés et, plus tard, alors que les travaux de construction du bâtiment débutent, l’entreprise chargée de réaliser les fondations constate des défauts d’altimétrie et la présence persistante d’anciennes fondations sur le terrain, justifiant un arrêt des travaux. La question se pose alors de la possibilité ou non d’engager la responsabilité de l’entreprise chargée de l’opération de démolition et de pré-verdissement sur le fondement de la garantie décennale. Condamnée avec la maîtrise d’œuvre en première instance sur ce fondement, l’entreprise et la maîtrise d’œuvre interjettent appel du jugement du Tribunal administratif de Lille.
Les juges de la Cour administrative d’appel de Douai considèrent qu’ «il est constant que (…) les travaux de préparation du sol peuvent être regardés comme présentant un certain lien de connexité avec cette opération immobilière. Pour autant, à cette date les caractéristiques et les modalités techniques de réalisation de cet ensemble immobilier (…) n’étaient pas encore précisément définies ». Ainsi, malgré ce lien de connexité, les juges d’appel considèrent que « les remaniements du sol opérés par la société X ne sauraient être considérés comme portant sur la réalisation d’ouvrages de fondation ou de soutènement ». Par suite, conclut la Cour administrative d’appel, les travaux de démolition et d’aménagement confiés à cette société ne sont pas, en raison de leur nature, au nombre de ceux qui peuvent donner lieu à garantie sur la base des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs.
CAA Douai 21 décembre 2023, Société Ramery Revitalisation, req. n°22DA01025