Par deux arrêts en date du 30 juillet 2024, le Conseil d’Etat précise que la décision par laquelle le magistrat enjoint à une partie de remettre à l’expert des documents présente un caractère juridictionnel et peut être contestée en appel.
Un tribunal administratif avait ordonné une expertise portant sur les préjudices subis par un centre hospitalier en raison de pratiques anticoncurrentielles et la magistrate chargée du suivi des opérations d’expertise a ordonné aux sociétés autrices de ces pratiques de communiquer des documents à l’expert dans un délai de dix jours sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, sur le fondement de l’article R. 621-7-1 du code de justice administrative.
Les sociétés, qui s’opposaient à la soumission au débat contradictoire de certains éléments, ont demandé à la cour administrative d’appel d’annuler la décision d’injonction de communiquer. La cour avait alors rejeté les requêtes comme manifestement irrecevables en considérant que l’injonction, bien qu’assortie d’une astreinte, « n’est que la mise en œuvre des pouvoirs conférés au magistrat en charge de l’expertise par les dispositions précitées et est indissociable du déroulement de la procédure d’expertise menée sous son autorité », de sorte qu’elle ne constitue pas une décision à caractère juridictionnel pouvant être contestée en appel (CAA Nancy, 10 janvier 2024, req. n° 24NC00054, 23NC03802).
Au Conseil d’Etat, le rapporteur public, après avoir notamment relevé que, par l’intermédiaire de ces décisions d’injonction, le magistrat chargé du suivi de l’expertise prend parti, « à l’évidence, sur le point de savoir si ces documents sont utiles à l’expertise » et tranche ainsi une contestation, concluait que la décision devait être qualifiée de décision juridictionnelle susceptible de recours.
Le Conseil d’Etat s’est aligné sur cette position pour juger que « la décision par laquelle le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel, ou le magistrat chargé du suivi des opérations d’expertise qu’il désigne, enjoint à une partie, le cas échéant sous astreinte, de remettre à l’expert les documents nécessaires à l’accomplissement de sa mission présente, compte tenu de son objet et de ses effets, un caractère juridictionnel » et qu’elle peut donc faire l’objet d’un recours en appel.
Il restera alors à la cour administrative d’appel de renvoi de déterminer quel sera son degré de contrôle sur la légalité de ces mesures prononcées par le magistrat.
CE 30 juillet 2024, Société Gerlor, req. n° 491177 ; CE 30 juillet 2024, Société Tarkett France, req. n° 491172
