Par une décision du 29 juin 2018, le Conseil d’État a étendu la qualification de bien de retour aux biens dont le concessionnaire de service public était propriétaire avant la conclusion de la concession.
Dans cette affaire, une concession de service public conclue le 28 décembre 1998, entre la communauté de communes de la vallée de l’Ubaye (CCVU) et la SARL C… Frères, mettait à la charge de celle-ci l’aménagement du domaine skiable et l’exploitation des remontées mécaniques pour une durée de 14 ans. À la suite du non-renouvellement de ce contrat, s’est posée la question de la remise des biens affectés à l’exploitation du service public à la CCVU. Or, une partie de ces biens appartenaient à la SARL C… Frères avant la conclusion de ce contrat.
Une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille, en date du 29 juillet 2013, a ordonné la remise de ces biens à la CCVU, mais sans trancher, sur le fond, l’aspect indemnitaire de la question. Les parties ont donc conclu un protocole transactionnel afin de déterminer les conditions d’indemnisation de la SARL C… Frères, en l’occurrence le versement d’une indemnité d’un montant total de 3 700 000 euros HT. Cependant, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence, estimant qu’il s’agissant d’une libéralité illégale, a déféré ce protocole transactionnel devant le tribunal administratif de Marseille. Sa demande ayant été rejetée par un jugement du 18 août 2015, puis par un arrêt de la cour administrative de Marseille du 9 juin 2016, il s’est alors pourvu en cassation devant le Conseil d’État.
Saisi de la question du sort des biens appartenant antérieurement au futur concessionnaire, puis affectés par lui à l’activité de service public qui lui est confiée, le Conseil d’État procède à un raisonnement en deux temps.
En premier lieu, il réitère les principes énoncés dans sa décision Commune de Douai (CE Ass. 21 décembre 2012, req. n° 342788, Rec. CE p. 477). Sans revenir en détail sur cette décision, l’on peut simplement rappeler que dans le cadre d’une concession « mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public », ces biens appartiennent à l’autorité concédante ab initio. Si quelques dérogations à ce principe sont, dans certaines conditions, admises, cela ne saurait faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique en fin de concession. Et dans l’hypothèse où ces investissements n’auraient pas été totalement amortis au terme de la concession, une indemnisation est possible, dans le cadre des stipulations du contrat, et dans la limite de la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée de la concession.
En second lieu, le Conseil d’État expose les modalités d’application de ces principes à l’hypothèse dans laquelle les biens concernés appartenaient au concessionnaire avant même la conclusion du contrat de concession. À cet égard, il apporte trois séries de précisions. D’abord, le principe selon lequel ces biens appartiennent à l’autorité concédante ab initio, et lui reviennent gratuitement en fin de concession, est pleinement applicable, sous les mêmes réserves que celles énoncées dans la décision Commune de Douai. Ensuite, l’apport des biens appartenant auparavant au concessionnaire peut être pris en compte dans la définition de l’équilibre économique du contrat, à condition qu’il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique concédante (ceci étant apprécié « eu égard notamment au coût que représenterait l’acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée pendant laquelle les biens apportés peuvent être encore utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés »). Enfin, cette prise en compte ne peut prendre la forme d’une indemnité que si, primo, l’équilibre économique du contrat ne peut être regardé comme permettant une telle prise en compte par les résultats de l’exploitation, et secondo, le montant de cette indemnité ne fait pas apparaître une libéralité consentie par la personne publique concédante.
Au cas d’espèce, le Conseil d’État relève que la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas fait application de ces principes. Par conséquent, il annule l’arrêt du 9 juin 2016, et renvoie l’affaire devant ladite Cour.
CE Sect. 29 juin 2018 Ministre de l’Intérieur, req. n° 402251, sera publié au recueil Lebon