Le 29 juillet 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision concernant l’application de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui interdit les pratiques restrictives de concurrence, en particulier les ententes. Cette décision porte sur un cas impliquant plusieurs institutions de crédit portugaises accusées d’avoir échangé des informations confidentielles et stratégiques pendant plus de dix ans, et ce, sur divers marchés du crédit : immobilier, à la consommation, et aux entreprises.
L’autorité portugaise de la concurrence avait infligé des amendes à 14 banques pour avoir échangé des informations sensibles sur les conditions commerciales, les taux d’intérêt, les risques et les volumes de production, sans accord formel préalable. Ces pratiques concernaient des marchés déjà concentrés et difficilement accessibles aux nouveaux entrants, ce qui augmentait le risque de coordination entre les acteurs. Les banques sanctionnées ont contesté la décision devant la juridiction portugaise, qui a alors sollicité l’avis de la CJUE sur l’interprétation de l’article 101 du TFUE.
La Cour a précisé que l’échange d’informations stratégiques entre entreprises, même en l’absence d’accord explicite ou formel, peut constituer une « restriction de la concurrence par objet ». Cette notion est centrale en droit européen de la concurrence car elle désigne les pratiques qui, par leur nature même, sont susceptibles de fausser la concurrence, sans qu’il soit nécessaire de démontrer leurs effets concrets sur le marché. Dans cette affaire, la CJUE a souligné que le simple fait de partager des informations sur des éléments clés (comme les taux d’intérêt futurs ou les volumes de crédit) entre concurrents sur des marchés concentrés est par nature anticoncurrentiel, car cela réduit l’incertitude que chaque entreprise devrait avoir vis-à-vis des comportements de ses rivales.
L’arrêt met en avant plusieurs critères pour déterminer si un échange d’informations constitue une restriction par objet. Tout d’abord, la nature des informations échangées : celles-ci étaient jugées stratégiques et confidentielles car elles portaient sur des aspects clés des décisions commerciales des banques (tels que les conditions tarifaires ou les risques financiers). Ensuite, l’impact potentiel sur la concurrence : ces échanges ont pu éliminer les incertitudes concernant le comportement futur des entreprises participantes. Enfin, la Cour a insisté sur le fait que les marchés concernés étaient fortement concentrés, avec des barrières à l’entrée élevées. Cela rendait plus probable que ces échanges entraînent une coordination tacite, c’est-à-dire une forme d’entente sans qu’un accord explicite soit nécessaire.
L’arrêt clarifie que les échanges d’informations stratégiques entre entreprises concurrentes peuvent, même sans accord explicite, constituer une violation directe du droit de la concurrence. Il n’est pas nécessaire de prouver que les entreprises ont effectivement utilisé ces informations pour agir de manière coordonnée : le simple fait que ces informations puissent influencer les comportements des entreprises suffit à caractériser une entente illicite.
Cette décision de la Cour renforce la rigueur avec laquelle les autorités européennes de la concurrence doivent surveiller les pratiques de concertation informelle. L’échange d’informations, même dans un contexte où il pourrait sembler anodin ou justifié pour des raisons commerciales, est désormais clairement encadré.
CJUE, 29 juillet 2024, Banco BPN/BIC Português SA c/ Autoridade da Concorrência, aff. C-298/22