Par une décision du 21 octobre 2024, le Conseil d’Etat affirme, qu’en cas de paiement sur un compte frauduleux, la personne publique ne pourra invoquer la théorie du créancier apparent pour refuser de payer son véritable créancier, titulaire du marché.
En 2019, le Grand port maritime de Bordeaux a confié à une société la fourniture et la mise en service d’une grue à tour sur portique, pour un montant total de plus de 1,7 million d’euros hors taxes. Le contrat prévoyait un calendrier de paiement échelonné sur cinq situations. La société a reçu le paiement correspondant à la situation n°1 mais n’a pas reçu ceux relatifs aux situations n°2, 3 et 4 aux échéances convenues. Le Grand port maritime de Bordeaux lui a fait savoir que, victime d’escroquerie, il avait procédé au virement des sommes dues sur un compte bancaire frauduleux et qu’il refusait donc de procéder de nouveau au paiement de ces sommes.
Dans un raisonnement en deux temps, le Conseil d’Etat affirme d’abord qu’en cas de paiement frauduleux, la personne publique ne peut se prévaloir ni de l’article 1342-3 du code civil relatif au créancier apparent, ni des éventuels manquements de son créancier et devra procéder au paiement envers le véritable créancier : « il appartient à une personne publique de procéder au paiement des sommes dues en exécution d’un contrat administratif en application des stipulations contractuelles, ce qui implique, le cas échéant, dans le cas d’une fraude tenant à l’usurpation de l’identité du cocontractant et ayant pour conséquence le détournement des paiements, que ces derniers soient renouvelés entre les mains du véritable créancier. La personne publique ne peut ainsi utilement se prévaloir, pour contester le droit à paiement de son cocontractant sur un fondement contractuel, ni des dispositions de l’article 1342-3 du code civil relatives au créancier apparent, qui ne sont pas applicables aux contrats administratifs, ni des manquements qu’aurait commis son cocontractant en communiquant des informations ayant rendu possible la manœuvre frauduleuse ».
Ensuite, le juge affirme que la personne publique pourra rechercher la responsabilité de l’auteur de la fraude et de son cocontractant pour les fautes ayant contribué à la commission de la fraude et obtenir, sur ce fondement, une indemnisation : « la personne publique, si elle s’y croit fondée, peut rechercher, outre la responsabilité de l’auteur de la fraude, celle de son cocontractant, en raison des fautes que celui-ci aurait commises en contribuant à la commission de la fraude, afin d’être indemnisée de tout ou partie du préjudice qu’elle a subi en versant les sommes litigieuses à une autre personne que son créancier ».
CE, 21 octobre 2024, Grand port maritime de Bordeaux, req. n°487929