Par un arrêt du 5 janvier 2024, la Cour administrative d’appel de Nantes fait une interprétation conforme à la jurisprudence du Conseil d’Etat, et donc restrictive, de la notion de faute dolosive susceptible d’engager la responsabilité des constructeurs pour des désordres apparus après l’expiration du délai de la garantie décennale.
Une commune a fait réhabiliter et agrandir un bâtiment communal et a réceptionné l’ouvrage en 2000. Lors d’une opération d’expertise en 2014, une infection d’un plancher au mérule a été détectée, provenant, selon l’expert missionné par l’assurance de la commune, d’un apport d’eau intempestif et prolongé et de l’entrée d’eau par des sanitaires ou canalisations fuyards. L’expert en a conclu que l’état de dégradation de l’ouvrage, rendu impropre à sa destination et dont la solidité était compromise, nécessitait une reprise générale de tous les ouvrages de structure en bois.
Déboutée en première instance, la commune a sollicité devant la Cour administrative d’appel la condamnation du maître d’œuvre, du contrôleur technique et de l’entreprise chargée du lot menuiserie. La question qui se posait était de savoir si la responsabilité des constructeurs pouvait être engagée au titre de désordres apparus postérieurement au délai d’épreuve de 10 ans de la garantie décennale.
Sur ce point, la jurisprudence de principe bien connue du Conseil d’Etat et reprise dans l’arrêt commenté prévoit que « l’expiration du délai de l’action en garantie décennale ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu’ils peuvent encourir en cas ou bien de fraude ou de dol dans l’exécution de leur contrat, ou bien d’une faute assimilable à une fraude ou à un dol ».
Pour rappel, la faute assimilable à un dol se définit comme « la violation grave par sa nature ou ses conséquences, [d’une obligation contractuelle], commise volontairement et sans qu’ils puissent en ignorer les conséquences » ; et ce « même sans intention de nuire » (v. CE 26 novembre 2007, Société Les Travaux du Midi, req. n°266423, au Recueil ; CE Sect. 24 mai 1975, Société Paul Millet et Cie : Rec. p. 310 ; v. ég. CE 10 octobre 2022, Société Eiffage Construction, req. n°454446, aux Tables). Dans le sillage de cette jurisprudence, le Conseil d’Etat a pu juger que la seule utilisation d’une fourniture différente de celle prévue au marché ne suffisait pas à établir l’intention frauduleuse (CE 28 juin 2019, Société Icade Promotion, req. n° 416735, aux Tables ; v. ég. par ex. CAA Douai, ord. 7 août 2009, Commune de Cysoing, req. n°09DA00656 ; CAA Bordeaux 20 décembre 2011, Commune de Saint-Médard en Jalles, req. n° 10BX03148). Dans ses conclusions sur la décision Icade Promotion, le rapporteur public Gilles PELLISSIER synthétisait la faute dolosive de la manière suivante : « la spécificité de la faute dolosive, ce qui l’assimile à la fraude ou au dol, ne doit pas être l’importance du manquement ou de ses conséquences, qui sont déjà couverts efficacement par la responsabilité contractuelle avant la réception et par les garanties post-contractuelles après, mais le comportement particulier du titulaire qui non seulement a méconnu ses obligations contractuelles, mais l’a fait sciemment. (…). ce qui permet de distinguer la faute dolosive de la faute lourde, c’est le caractère délibéré de sa commission, le fait qu’elle était commise volontairement et en toute connaissance de cause ».
En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Nantes écarte d’abord la responsabilité du maître d’œuvre, considérant que si celui-ci ne pouvait ignorer les risques d’une telle opération sur l’équilibre hydrique du bâtiment, « il ne résulte pas de l’instruction qu’il aurait volontairement manqué à ses obligations contractuelles et que cette seule circonstance caractériserait une faute assimilable à une fraude ou à un dol ». De la même manière, concernant l’entreprise, aucune faute de la sorte ne peut lui être reprochée pour ne pas avoir conseillé un traitement spécifique qui était (seulement !) « fortement recommandé par le centre technique du bois et de l’ameublement ». Pour cette même raison, la Cour écarte la responsabilité du contrôleur technique qui n’était en outre pas missionné, au titre de sa mission L correspondant à la vérification de la solidité des ouvrages sur les travaux neufs, d’une vérification sur les ouvrages existants. La requête de la Commune a donc été rejetée.
CAA Nantes 5 janvier 2024, Commune de Saint-Nicodème, req. n°22NT01420.