Par trois arrêts en date du 20 septembre 2016, la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur les limites admissibles de la liberté d’expression. Il convient de comparer deux de ces décisions, dans lesquelles la partie civile est identique (ci-dessous, Mme Y.).
Dans la première espèce, la chaîne de télévision France 2 avait diffusé, le 7 janvier 2012, dans une de ses émissions une séquence au cours de laquelle avait été montrées des affiches parodiques, publiées trois jours auparavant par un journal « Charlie Hebdo », concernant les candidats à l’élection présidentielle. L’une de ces affiches présentant le slogan » Y., la candidate qui vous ressemble « , inscrit au-dessus d’un excrément, Mme Y. a déposé une plainte assortie de constitution de partie civile, du chef d’injure publique envers un particulier. Renvoyés devant le Tribunal correctionnel de ce chef, le Président de la société France télévisions, et l’animateur de l’émission, ont été relaxés. La partie civile, déboutée de ses demandes, a relevé appel de ce jugement.
Pour confirmer le jugement en ses dispositions civiles, la Cour d’appel a retenu que « si l’affiche litigieuse est particulièrement grossière à l’égard de la plaignante, il ne s’agit pas d’une attaque contre sa personne, destinée à atteindre sa dignité, mais d’une pique visant la candidate à l’élection présidentielle, et que l’humour doit être largement toléré lorsqu’il vise, comme en l’espèce, une personnalité politique » ajoutant également « que cette représentation se situe dans le registre d’une forme d’humour débridé, propre au journal « Charlie Hebdo », qui n’hésite pas à recourir à des figures scatologiques, et relevé que l’animateur de l’émission a pris le soin de préciser le contexte satirique dans lequel devaient être compris les dessins présentés, manifestant ainsi clairement son intention de provoquer le rire, et non de présenter une image dégradante de la partie civile ».
Toutefois, au visa de l’article 33, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt d’appel. Après avoir rappelé qu’en matière de presse, il lui appartenait d’exercer son contrôle sur le sens et la portée des propos poursuivis, la Chambre criminelle de la Cour de cassation estime qu’en l’espèce, « le dessin et la phrase poursuivis, qui portaient atteinte à la dignité de la partie civile en l’associant à un excrément, fût-ce en la visant en sa qualité de personnalité politique lors d’une séquence satirique de l’émission précitée, dépassaient les limites admissibles de la liberté d’expression ».
Dans la seconde espèce, la chaîne de télévision France 2 avait diffusé, le 5 novembre 2011, dans une de ses émissions, une séquence à vocation humoristique portant sur la généalogie des personnalités politiques, qui présentait son arbre généalogique sous forme d’une croix gammée. Mme Y. a déposé une plainte assortie de constitution de partie civile, du chef d’injure publique envers particulier. Le Président de la société France télévisions et l’animateur de l’émission ont été envoyés devant le Tribunal correctionnel de ce chef, et leur responsabilité a été retenue. Ils ont ensuite interjeté appel du jugement, ainsi que la société France télévisions, civilement responsable.
Pour infirmer le jugement en ses dispositions civiles, la Cour d’appel a retenu que « le registre de la satire et de la bouffonnerie propre à la séquence en cause, dont le but est de faire rire, en se moquant des personnalités qui y sont présentées, sans délivrer pour autant un message de vindicte et de mépris à leur égard, ne permet pas d’interpréter le dessin litigieux, en raison de son caractère manifestement outrancier et dénué du moindre sérieux, comme donnant de la partie civile une image reflétant un tant soit peu la réalité de son positionnement politique et de l’idéologie qui l’animerait ».
La Chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé l’arrêt d’appel et rejeté le pourvoi de la partie civile qui invoquait une violation de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, considérant ainsi que « que le dessin poursuivi, outrageant à l’égard de la partie civile, mais présentant, sur un mode satirique, dans un contexte de polémique politique, l’inspiration idéologique prêtée au responsable d’un parti politique, ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d’expression ».
Il résulte de ces deux cas d’espèces qu’en matière de presse, la Cour de cassation exerce pleinement son contrôle sur le sens et la portée des propos poursuivis. Ainsi, elle réaffirme l’existence du droit à la satire dans le domaine du discours portant sur des questions d’intérêt général, et rappelle que le respect de la dignité de la personne humaine constitue l’ultime limite à la liberté d’expression.
Références
Cass. Crim., 20 septembre 2016, n° 15-82.942 (première espèce) ;
Cass. Crim., 20 septembre 2016, n° 15-82.941 (seconde espèce).