Le 15 décembre 2013, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation décidait que le formalisme requis en matière de droit de la presse devait s’appliquer tant devant les juridictions pénales que devant les juridictions civiles. Les deux procédures se trouvaient unifiées. Dès lors, conformément à l’article 53 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, une assignation devant le juge civil devrait, en principe, contenir la mention du texte qui édicte la peine sanctionnant l’infraction poursuivie et ce sous peine de nullité. Toutefois, le présent arrêt juge qu’il y a lieu de ne pas appliquer cette nouvelle jurisprudence aux litiges en cours.
En l’espèce, une Commune a délégué à une société la construction et l’exploitation d’un crématorium. Un collectif opposé au projet a diffusé un tract et publié une pétition contenant des propos diffamatoires. La société a alors assigné le collectif sur le fondement de la loi sur la presse. Les juridictions du fond ont rejeté la qualification de diffamation. Un pourvoi a alors été formé.
La nullité de l’assignation a été soulevée au motif qu’elle ne visait pas le bon texte, ce qui est un motif de nullité en matière pénale et, depuis le 15 décembre 2013 en matière civile, en principe. Pourtant, l’acte ayant été rédigé avant cette date, la Cour de cassation a estimé, par une motivation inédite, qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer la jurisprudence nouvelle, en précisant :
« Attendu qu’en l’espèce, les assignations délivrées à la requête de la société et des consorts X… visent l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, mais non l’article 32 de la même loi ; que, dès lors, à défaut de mention du texte édictant la peine applicable aux faits de diffamation allégués, ces assignations encourent la nullité ; Attendu, cependant, que, si la jurisprudence nouvelle s’applique de plein droit à tout ce qui a été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, la mise en œuvre de ce principe peut affecter irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi, en se conformant à l’état du droit applicable à la date de leur action, de sorte que le juge doit procéder à une évaluation des inconvénients justifiant qu’il soit fait exception au principe de la rétroactivité de la jurisprudence et rechercher, au cas par cas, s’il existe, entre les avantages qui y sont attachés et ses inconvénients, une disproportion manifeste ; que les assignations en cause, dont les énonciations étaient conformes à la jurisprudence de la première chambre civile, ont été délivrées à une date à laquelle la société et les consorts X… ne pouvaient ni connaître ni prévoir l’obligation nouvelle de mentionner le texte édictant la peine encourue ; que, dès lors, l’application immédiate, à l’occasion d’un revirement de jurisprudence, de cette règle de procédure dans l’instance en cours aboutirait à priver ces derniers d’un procès équitable, au sens de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en leur interdisant l’accès au juge ; qu’il n’y a donc pas lieu d’annuler les assignations ; ».
À ce jour, la portée de cet arrêt reste à déterminer, mais pourrait être majeure et déborder le droit de la presse.
Référence