Le 19 octobre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a apporté des précisions sur l’application de la quatrième condition de la décision « Altmark » du 24 juillet 2003 relative à la qualification d’aide d’Etat.
La Province autonome de Bolzano a attribué la gestion des services de transport public local, sans mise en concurrence préalable, à une société dont elle était la seule actionnaire et sur qui elle exerçait donc un contrôle. L’opérateur sortant considérait que la compensation versée à l’opérateur attributaire constituait une aide d’Etat qui aurait dû être notifiée à la Commission européenne.
Rappelons que la jurisprudence européenne a posé les critères permettant d’échapper à la qualification d’aide d’Etat (CJUE, 24 juillet 2003, Altmark Trans GmbH, aff. C-280/00). Une compensation de service public échappe à la qualification d’aide d’Etat dès lors que :
- Premièrement, l’entreprise bénéficiaire est chargée d’exécuter des obligations de service public clairement définies ;
- Deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée cette compensation doivent être préalablement établis de manière objective et transparente ;
- Troisièmement, la compensation ne doit pas dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public ;
- Quatrièmement, lorsque le choix de l’entreprise n’est pas effectué dans le cadre d’une procédure de marché public permettant de sélectionner le candidat capable de fournir ces services au coût économiquement le plus avantageux pour la collectivité, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée en moyens de transport, aurait encourus pour exécuter ces obligations.
La question posée à la Cour, en l’espèce, était particulièrement de déterminer si le calcul de la compensation accordée dans le cadre du contrat de service public de transport satisfaisait la quatrième condition, la juridiction exprimant des doutes sur le fait de savoir si ces critères constituaient une base adéquate pour calculer les coûts d’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement dotée de moyens nécessaires afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises.
Les juges définissent tout d’abord les « paramètres standard de marché » et confirment qu’une approche possible, pour évaluer si la quatrième condition est satisfaite, consiste à calculer la compensation en se basant sur une moyenne des coûts, des recettes et des bénéfices des entreprises fournissant un service comparable sur un marché ouvert à la concurrence. Cette méthode vise à déterminer les coûts qu’une entreprise moyenne bien gérée aurait encourus, en tenant compte des recettes et d’un bénéfice raisonnable attendu. Cependant, elle peut être utilisée uniquement si le nombre d’entreprises sur le marché est statistiquement significatif. La Cour précise que seules les entreprises en mesure d’exécuter immédiatement les obligations de service public concernées et donc susceptibles d’être considérées comme adéquatement dotées des moyens nécessaires afin de pouvoir satisfaire aux exigences du service, peuvent être prises en compte dans l’évaluation.
La Cour suggère également que les coûts pour chaque élément du service multimodal peuvent être calculés séparément pour une entreprise moyenne bien gérée et que ces coûts peuvent être additionnés en tenant compte des effets de synergie résultant de la gestion intégrée de différents modes de transport.
La Cour, sur le point de savoir si les coûts du service fourni par l’opérateur sortant peuvent être pris en compte, rappelle que le critère de l’« entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement dotée de moyens nécessaires » n’exclut pas un calcul fondé sur les coûts antérieurs du service fourni par l’opérateur sortant, pour autant, cependant, que l’opérateur sortant puisse être considéré, au regard des méthodes d’analyse comptable et financière habituellement utilisées, comme étant une entreprise moyenne et bien gérée.
Les juges concluent que ne constitue pas une aide d’Etat « la compensation d’obligations de service public versée à un opérateur interne dans le cadre d’une attribution directe d’un contrat de service public de transport de voyageurs par une autorité locale compétente qui a été calculée sur la base des coûts d’exploitation qui sont, d’une part, déterminés en tenant compte des coûts antérieurs du service fourni par l’opérateur sortant et, d’autre part, rapportés à des coûts ou à des contreparties également relatifs à l’attribution précédente ou, en tout état de cause, relatifs à des paramètres standard du marché, valant pour l’ensemble des opérateurs du secteur concerné, pour autant que le recours à de tels éléments aboutit à la détermination de coûts qui reflètent ceux qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement dotée de moyens nécessaires afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations ».
CJUE, 19 octobre 2023, Sad Trasporto Locale SpA c/ Provincia autonoma di Bolzano, aff. C-186/22