Par une décision du 22 septembre 2023, la Cour administrative d’appel de Paris a jugé que l’interdiction de financement des aides aux cultes par les collectivités publiques s’applique aux conditions de résiliation d’un BEA cultuel, et notamment aux conditions de cession du bien concerné à une association cultuelle.
Le 21 juillet 2005, la commune de Bagnolet a conclu un bail emphytéotique avec l’association de bienfaisance et de fraternité de Bagnolet, en vue de l’édification d’une mosquée sur un terrain communal. Consenti pour une durée de 63 ans, ce bail avait pour objet de conférer des droits réels sur le terrain à l’association, laquelle s’engageait à construire l’édifice cultuel, en contrepartie du versement à la commune d’un loyer d’un euro annuel et du transfert de propriété à la collectivité, à l’issue du bail, de l’ensemble des constructions réalisées.
Le 11 avril 2019, la résiliation de ce bail a été approuvée par le conseil municipal qui a autorisé la cession du bien à l’association au prix de 950 000 euros hors taxes, dont plus d’un quart versé en 48 mensualités sans intérêt. Contestée par une élue de l’opposition, la délibération en ce sens a été annulée le 1er avril 2022 par le Tribunal administratif de Montreuil.
Saisie du litige, la Cour administrative d’appel de Paris a d’abord rappelé les dispositions de la loi du 9 décembre 1905, à l’aune de laquelle les collectivités publiques sont seulement autorisées à financer les dépenses d’entretien et de conservation des édifices cultuels dont elles sont propriétaires et à accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation de ces mêmes édifices. Il leur est en revanche interdit d’apporter une aide à l’exercice d’un culte, de sorte qu’aucune contribution directe ou indirecte à la construction de nouveaux édifices cultuels ne saurait être admise.
Néanmoins, l’article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT) permet aux collectivités territoriales d’autoriser un organisme qui entend construire un édifice de culte ouvert au public à occuper une dépendance de leur domaine, privé ou public, pour une longue durée, dans le cadre de la conclusion d’un bail emphytéotique administratif – couramment appelé BEA cultuel. Il résulte de ces dispositions que les collectivités territoriales peuvent conclure un tel contrat en vue de la construction d’un nouvel édifice cultuel en contrepartie, d’une part, du versement par l’emphytéote d’une redevance qui sera nécessairement modique au regard du défaut de caractère lucratif de l’activité exercée et, d’autre part, de l’incorporation dans le patrimoine des collectivités, à l’expiration du bail, de l’édifice construit dont elles n’auront pas supporté les charges de conception, de construction, d’entretien ou de conservation.
Constatant que cet article L. 1311-2 du CGCT déroge aux dispositions de la loi du 9 décembre 1905 et affirmant que cette dernière ne fait d’ailleurs pas obstacle à la résiliation anticipée d’un tel contrat, la Cour administrative d’appel de Paris juge toutefois que le régime du BEA cultuel n’entend pas exclure l’application de la loi de 1905 aux conditions financières dans lesquelles le bien objet du contrat peut être cédé, si bien que cette loi exige que la cession soit effectuée dans des conditions excluant toute libéralité et donc toute aide directe ou indirecte à un culte.
Au cas d’espèce, si le prix de cession du terrain et la valeur de la renonciation de la commune au droit de devenir propriétaire de la mosquée en fin de bail correspondaient au montant proposé par le service des domaines, soit la somme totale de 950 000 euros hors taxes, il était également prévu le paiement échelonné sans intérêt de plus d’un quart du montant total de la somme due. Or, cette facilité de paiement constitue, selon la Cour administrative d’appel de Paris, un avantage consenti par la commune, sans contrepartie, et ayant pour effet de minorer le prix de cession du bien en deçà de sa valeur réelle. C’est donc sur le fondement de la loi de 1905 que la Cour qualifie cette opération de subvention et confirme l’annulation de la délibération litigieuse.
CAA Paris 22 septembre 2023, Commune de Bagnolet, req. n° 22PA02509