Par un arrêt du 9 novembre 2023, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) juge que si la création prétorienne d’un nouveau délai de recours contentieux ne porte pas une atteinte excessive au droit d’accès à un tribunal, son application immédiate aux instances en cours viole l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH).
La Cour était saisie de dix-huit requêtes concernant l’application immédiate en cours d’instance d’un nouveau délai de recours contentieux consacré par la décision « Czabaj » (CE Ass. 13 juillet 2016, Czabaj, req. n° 387763, au Recueil). Par cette décision, le Conseil d’Etat a posé le principe selon lequel, en l’absence de mention des voies et délais de recours dans une décision prise par l’administration, il n’est possible de la contester hors délai légal ou réglementaire que dans un délai raisonnable qui ne saurait, en règle générale, excéder un an à compter de la notification ou de la connaissance de la décision, sauf à justifier de circonstances particulières.
En premier lieu, la Cour considère que la création, par voie prétorienne, d’une nouvelle condition de recevabilité, fondée sur des motifs justifiant l’évolution de jurisprudence ayant conduit à la création d’un délai raisonnable de recours, ne porte pas, alors même qu’elle est susceptible d’affecter la substance du droit au recours, une atteinte excessive au droit d’accès à un tribunal tel que protégé par l’article 6§1 de la CESDH (§134 à §148).
Toutefois, en deuxième lieu, la Cour considère que l’application immédiate aux instances en cours de cette nouvelle règle de délai de recours contentieux, qui était pour les requérants à la fois imprévisible dans son principe, et imparable en pratique, a restreint leur droit d’accès à un tribunal à un point tel que l’essence même de ce droit s’en est trouvée altérée.
Pour ce faire, elle relève d’abord que la nouvelle cause d’irrecevabilité issue du revirement de jurisprudence a été consacrée à une date postérieure à celle à laquelle les requêtes de première instance ont été introduites, de sorte que l’application immédiate, en cours d’instance, de la nouvelle règle de délai de recours revient à ce que la cause d’irrecevabilité a été opposée rétroactivement à l’ensemble des requérants (§150 à §155).
Elle ajoute ensuite que les requérants ne pouvaient raisonnablement anticiper le contenu et les effets de la décision « Czabaj » sur la recevabilité de leurs recours respectifs à la date à laquelle ils ont saisi les tribunaux administratifs (§156 et §157).
En outre, la Cour relève que les requérants n’ont pas eu la possibilité de remédier à la cause d’irrecevabilité issue de la jurisprudence nouvelle qui leur a été appliquée rétroactivement (§158 et §159).
En troisième et dernier lieu, la Cour note que le Gouvernement n’apporte pas d’autre explication concernant l’absence de report dans le temps de l’application du délai raisonnable de recours contentieux que celle ressortant des motifs mêmes de la décision « Czabaj », alors que le Conseil d’Etat a notamment, postérieurement à celle-ci, procédé à un tel report pour une règle de forclusion (§160).
Pour l’ensemble de ces considérations, la Cour conclut à la violation de l’article 6§1 de la CESDH.
CEDH 9 novembre 2023, Affaire Legros et autres c/ France, req. n° 72173/17 et autres