Par une décision du 13 juillet 2023, la Cour de justice de l’Union européenne apporte notamment des précisions sur le standard de preuve requis en matière d’interdictions d’opérations de concentration par la Commission européenne.
En 2016, la Commission avait interdit l’acquisition par CK Telecoms d’un autre opérateur de téléphonie mobile concurrent, O2. Le Tribunal de l’Union européenne, par un arrêt du 28 mai 2020, avait fait droit au recours de CK Telecoms en annulant la décision de la Commission.
Suivant les conclusions de son avocate générale, la Cour de justice de l’Union européenne, compte tenu de l’ampleur, de la nature et de la portée des erreurs commises par le Tribunal, a annulé l’arrêt rendu par ce dernier.
La Cour a tout d’abord considéré que le Tribunal avait appliqué une exigence de preuve ne découlant pas du règlement sur les concentrations, en considérant que la Commission devait démontrer avec une « probabilité sérieuse l’existence d’entraves significatives » à une concurrence effective à la suite de la concentration et que « l’exigence de preuve applicable dans le cas d’espèce est, par conséquent, plus stricte que celle en vertu de laquelle une entrave significative à une concurrence effective serait “plus probable qu’improbable” ». Ainsi, pour la Cour, si la Commission décide d’interdire une opération de concentration, elle doit opérer une « balance des probabilités » et non prouver « l’existence d’une probabilité sérieuse d’entrave à une concurrence effective », comme l’avait exigé le Tribunal.
Ensuite, la Cour a censuré l’approche restrictive retenue par le Tribunal, qui avait considéré qu’une entrave significative à une concurrence effective ne pouvait être établie par la Commission que si celle-ci démontrait que, d’une part, les fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exerçaient l’une sur l’autre étaient éliminées et, d’autre part, les pressions concurrentielles sur les autres concurrents étaient réduites. Pour la Cour, une telle interprétation est contraire au règlement sur les concentrations, qui a pour objectif d’instaurer un contrôle effectif de toutes les concentrations qui entraveraient de manière significative une concurrence effective.
Aussi, le Tribunal avait considéré qu’il ressortait de la décision de la Commission que la seule constatation de l’élimination d’un « important moteur de la concurrence » ou la proximité de la concurrence entre les opérateurs suffisait à prouver une entrave significative à une concurrence effective. La Cour a censuré la décision pour erreur de droit en considérant que le Tribunal avait dénaturé la décision de la Commission ; et a jugé que cette dernière n’était pas tenue de démontrer que l’un des opérateurs concernés se livrait à une concurrence particulièrement agressive en termes de prix et qu’elle forçait les autres acteurs sur le marché à s’aligner sur ses prix. Pour qualifier une entreprise d’« important moteur de la concurrence », il suffit qu’elle joue un rôle important dans la dynamique concurrentielle.
La Cour a enfin considéré que le Tribunal avait dénaturé les écritures de la Commission en ce qui concerne l’analyse quantitative des effets de la concentration projetée sur les prix.
Compte tenu des erreurs commises par le Tribunal, qui affectent son raisonnement dans son ensemble, la Cour a annulé l’arrêt attaqué et renvoyé l’affaire devant le Tribunal.
CJUE, 13 juillet 2023, Commission européenne contre CK Telecoms UK Investments Ltd, aff. C-376/20